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l'automne; vous ne voudriez pas vous faire un jeu de ma souffrance, je le
crois. Parlez donc, et dites ce que vous savez, puisqu'il faut que je
l'entende.
--Je sais ce qu'on dit, et rien de plus. On pretend que c'est a propos
d'un chevreuil, que vous avez rompu une amitie de vingt ans. Un de ces
animaux, que vous apprivoisiez pour votre amusement, se serait echappe de
votre garenne, et M. de Chateaubrun l'ayant rencontre a peu de distance de
chez vous, aurait commis l'etourderie de le tuer. C'eut ete une grande
etourderie, il est vrai, puisqu'il n'y a point de chevreuils dans ce
pays-ci, et qu'il devait supposer que celui-la etait un de vos favoris;
mais M. de Chateaubrun a toujours ete fort distrait, et vraiment ce n'est
pas la un defaut qu'on ne puisse pardonner a un ami.
--Et qui vous a raconte cette histoire? Lui, sans doute?
--Il ne s'est jamais explique avec moi ni devant moi: c'est Jean, le
charpentier, encore un homme dont vous ne voulez pas entendre parler,
quoique vous ayez ete genereux envers lui, qui m'a dit n'avoir jamais connu
entre vous deux d'autre motif de mesintelligence.
--Et de qui tenait-il cette belle explication? de la servante de la maison,
sans doute?
--Non, monsieur le marquis. La servante ne parle pas plus de vous que le
maitre. Ce que je viens de vous dire est une histoire accreditee parmi les
paysans.
--Et le fond de l'histoire est vrai, reprit M. de Boisguilbault apres une
longue pause, qui parut le calmer entierement. Pourquoi vous en
etonneriez-vous, Emile? Ne savez-vous pas qu'il ne faut qu'une goutte d'eau
pour faire deborder un lac?
--Et si votre lac d'amertume n'etait rempli que de pareilles gouttes d'eau,
comment ne voulez-vous pas que je m'etonne de votre susceptibilite? Je ne
vois chez M. de Chateaubrun d'autre defaut qu'une sorte d'inertie et
d'irreflexion continuelle. Si c'est une suite de distractions et de
gaucheries qui vous a rendu sa presence insupportable, je ne retrouve pas,
la votre haute sagesse et votre tolerance accoutumees. Je serais donc plus
patient que vous, moi, que vous traitez souvent de volcan en eruption, car
les distractions de M. Antoine me divertissent plus qu'elles ne m'irritent,
et j'y vois une preuve de l'abandon de son ame et de la naivete de son
esprit.
--Emile, Emile, vous ne pouvez pas juger ces choses-la! reprit M. de
Boisguilbault, embarrasse. Je suis fort distrait moi-meme, et je souffre de
mes propres meprises. Celles des autr
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