s regards des passants sur la
facade basse, large, peinte en bleu avec de riches moulures
dorees. Une espece de frise, qui separait le rez-de-chaussee du
premier etage, representait une foule de diables dans des
attitudes plus grotesques les unes que les autres, et un large
ruban, peint en bleu comme la facade, s'etendait entre la frise et
la fenetre du premier, avec cette inscription:
_Rene, Florentin, parfumeur de Sa Majeste la reine mere._
La porte de cette boutique, comme nous l'avons dit, etait bien
verrouillee; mais, mieux que par ses verrous, elle etait defendue
des attaques nocturnes par la reputation si effrayante de son
locataire que les passants qui traversaient le pont a cet endroit
le traversaient presque toujours en decrivant une courbe qui les
rejetait vers l'autre rang de maisons, comme s'ils eussent redoute
que l'odeur des parfums ne suat jusqu'a eux par la muraille.
Il y avait plus: les voisins de droite et de gauche, craignant
sans doute d'etre compromis par le voisinage, avaient, depuis
l'installation de maitre Rene sur le pont Saint-Michel, deguerpi
l'un et l'autre de leur logis, de sorte que les deux maisons
attenantes a la maison de Rene etaient demeurees desertes et
fermees. Cependant, malgre cette solitude et cet abandon, des
passants attardes avaient vu jaillir, a travers les contrevents
fermes de ces maisons vides, certains rayons de lumiere, et
assuraient avoir entendu certains bruits pareils a des plaintes,
qui prouvaient que des etres quelconques frequentaient ces deux
maisons; seulement on ignorait si ces etres appartenaient a ce
monde ou a l'autre.
Il en resultait que les locataires des deux maisons attenantes aux
deux maisons desertes se demandaient de temps en temps s'il ne
serait pas prudent a eux de faire a leur tour comme leurs voisins
avaient fait.
C'etait sans doute a ce privilege de terreur qui lui etait
publiquement acquis que maitre Rene avait du de conserver seul du
feu apres l'heure consacree. Ni ronde ni guet n'eut ose d'ailleurs
inquieter un homme doublement cher a Sa Majeste, en sa qualite de
compatriote et de parfumeur.
Comme nous supposons que le lecteur cuirasse par le philosophisme
du XVIIIe siecle ne croit plus ni a la magie ni aux magiciens,
nous l'inviterons a entrer avec nous dans cette habitation qui, a
cette epoque de superstitieuse croyance, repandait autour d'elle
un si profond effroi.
La boutique du rez-de-chaussee est sombre et deserte a part
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